LA BICYCLETTE BRISÉE, L’ASSUREUR ET LE CYCLISTE VICTIME
réparation des dommages matériels | préjudices matériels
| vélo cassé
En consultant les différents « Posts » sur « LINKEDIN », voilà que notre attention fut attirée par un post de Monsieur le Juge RAMAËL intitulé : « La bicyclette brisée ou le droit à réparation intégrale des victimes ».
→ Réparation des dommages matériels de la victime cycliste, mais…
Même si les avocats ont l’esprit de contradiction, les « Posts » de juges étant assez rares, et la matière visée (les victimes cyclistes) étant de surcroit intéressante, nous nous plongions alors dans l’article.
Il s’agissait d’un arrêt de la Cour d’Appel d’Aix en Provence rendu le 25 novembre 2016, par la 7èmeB Chambre des Appels correctionnels présidée alors par Monsieur le Juge RAMAËL.
La Cour d’Appel d’Aix en Provence devait se prononcer sur une affaire d’accident de la route impliquant un automobiliste qui avait percuté un cycliste.
Le cycliste avait alors été blessé et son vélo complètement détruit.
Le tribunal avait alors jugé l’automobiliste responsable pénalement et l’avait condamné à ce titre.
Le cycliste a été reçu, en sa qualité de partie civile, conformément à la Loi Badinter sur les accidents de la circulation et une expertise médicale a été ordonnée.
Enfin, et c’est le point le plus important dans cette affaire puisque c’est précisément ce point qui a posé problème, le prévenu a été condamné à payer au cycliste victime la somme de 8166,66 euros en réparation du préjudice matériel.
En pratique, même si c’est le prévenu qui est condamné à indemniser les victimes, c’est son assurance qui est tenue de le faire.
D’ailleurs, l’assurance est toujours mise en cause devant les tribunaux dans les affaires d’accidents de la route justement pour lui permettre d’intervenir.
Dans notre espèce, l’assurance a bien été mise en cause au procès du prévenu et devant sa condamnation en réparation du préjudice matériel (la bicyclette brisée, nous y venons), l’assurance a souhaité faire appel mais uniquement sur les dispositions du jugement relatives à la liquidation du préjudice matériel.
Le problème essentiel avancé par l’assurance étant la contestation de l’estimation du vélo endommagé.
En effet, le tribunal a considéré qu’il :
« (…) s’agissait d’un vélo professionnel haut de gamme qui, sous l’effet du choc, a été brisé en deux parties (…) »
La compagnie d’assurance avait évalué ledit vélo à 1400 euros alors que le cycliste victime avait versé une facture de réparation d’un montant de 7217 euros.
La Cour d’Appel d’Aix en Provence a confirmé le jugement du tribunal sur le fondement du principe de la réparation intégrale :
« Attendu qu’en effet le principe de la réparation intégrale du préjudice commande d’accorder, au choix de la partie civile, soit la réparation du bien endommagé, soit son remplacement par un bien neuf identique ; qu’en décider autrement reviendrait à vider de son sens ce principe ; que l’application d’un coefficient de vétusté ou l’utilisation d’une notion de marché de l’occasion conduirait à pénaliser une victime privée de son bien par un évènement à laquelle elle est complètement étrangère… »
→ La théorie de l’enrichissement sans cause, face à la théorie de l’appauvrissement sans cause
Si l’arrêt peut choquer du coté assurance, ou donner entière satisfaction du coté du cycliste victime, les juristes que nous sommes n’avons pas manqué d’être interpellés par le raisonnement appliqué par la Cour d’Appel d’Aix en Provence.
En effet, la Cour d’Appel a donc, en procédant de la sorte, indemnisé le cycliste victime pour son préjudice matériel (la bicyclette brisée) à 100% de la valeur neuve sans appliquer de coefficient de vétusté.
Si le cycliste victime a pu se racheter une bicyclette neuve après quelques années d’utilisation, ne pouvait-on pas considérer que le cycliste s’était enrichi suivant la théorie de l’enrichissement sans cause que les juristes connaissent trop bien.
En suivant le même raisonnement, et en appliquant cette jurisprudence, un automobiliste qui a un accident 5 ans après avoir acheté son véhicule serait en droit de solliciter auprès de son assurance, le remplacement à neuf
Nous contactions alors Monsieur le Juge RAMAËL via les réseaux sociaux qui précisait dans son post que l’assurance n’avait pas formé un pourvoi en cassation pour « discuter » du raisonnement.
Monsieur le Juge nous a rapidement accepté en « ami » (sur LINKEDIN) et lorsque nous lui avons exposé la problématique du raisonnement et surtout que l’assurance n’avait aucun intérêt de former un pourvoi au risque d’avoir une jurisprudence de la Cour de cassation bien ancrée, sa réaction ne se fit pas attendre.
« Je suis totalement d’accord avec vous mais dans ce cas précis, il y avait un problème majeur. Si le marché de l’occasion en matière d’automobile est largement développé, il n’en n’est rien en matière de vélo haut de gamme. Si j’avais accepté d’appliquer le coefficient de vétusté au vélo haut de gamme, ce serait alors le cycliste qui aurait perdu de l’argent. Il n’aurait pas pu se racheter de vélo, le marché de l’occasion étant inexistant, et il n’avait pas forcément les moyens d’en racheter un neuf. Alors C’était l’occasion de rappeler les principes car faire droit aux conclusions de l’assureur était créer un appauvrissement sans cause… » M. RAMAËL, Président de chambre à la cour d’appel d’Aix-en-Provence
Ce raisonnement est digne d’un jugement de Salomon et nous ne pouvons alors qu’apprécier la qualité de cette réflexion qui fait honneur à la magistrature.
Nous remercions le juge encore une fois pour ce débat passionnant.
→ Qu’en est-il alors du droit à indemnisation du cycliste victime et que faut-il retenir ?
En réalité, dès lors qu’il existe un véritable marché de l’occasion et bien sûr, une disponibilité des produits endommagés (bicyclettes, motocyclettes, automobiles…), l’assurance pourra se référer à un coefficient de vétusté pour déprécier la valeur du bien et la traduire en indemnités.
Néanmoins, rien n’empêche les victimes de contester cette valeur en rapportant quelques éléments au juge lui permettant de réévaluer la valeur du bien détruit sur le marché de l’occasion (une voiture, une moto ou un vélo peut être surcoté sur les sites de vente de biens d’occasion et la fourniture de la copie de ces petites annonces peuvent servir de base de réflexion.
Dès lors qu’il n’existe pas de marché de l’occasion, ou même si les biens détruits ou endommagés ne sont pas disponibles sur le marché de l’occasion, le magistrat n’aura pas d’autres choix que d’ordonner leur remplacement à neuf et ce même si la victime bénéficie d’un certain enrichissement au profit de l’assurance.
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